Legal English Shot: Shall we or shall we not?

Quelques réflexions sur l’utilisation du verbe modal « shall » dans les contrats et autres documents juridiques

L’utilisation du verbe modal « shall » dans les lois et les contrats est une question âprement débattue dans le monde juridique anglo-saxon.

Si tout le monde s’entend à dire que « shall » (pour indiquer le futur, une obligation ou une intention)[1] est tombé en désuétude dans le langage courant, il est encore très fréquemment utilisé en anglais juridique.

Dans son acception première (qui est d’ailleurs la seule recommandée par les jurilinguistes qui continuent à militer pour sa préservation), « shall » permet d’indiquer une obligation.

  1. Il peut alors être remplacé par « must», « has a duty to », « has an obligation to » « is to », « is to be » ou « it is the duty of ».

Certains puristes, en particulier Ken Adams[2], précisent que « shall » ne doit être utilisé que pour imposer une obligation au sujet de la phrase et ne saurait s’appliquer qu’à des personnes (the defect must be cured; the contractor shall cure the defect).

« Shall » est cependant utilisé dans bien d’autres contextes, ce qui lui vaut sa réputation sulfureuse de terme ambigu et dangereux, à l’origine d’une vaste jurisprudence sur ses possibles interprétations[3]. Parmi ses diverses significations, l’on relèvera :

  1. L’hypothèse ou la précondition: « shall » peut alors être remplacé par un passé composé ou un présent.

Par exemple : « If the tenant shall give the landlord six months previous notice and shall up to the date of termination pay the rent » peut être remplacé par : « If the tenant has given… and pays the rent… ».

  1. La permission : « shall » peut alors être remplacé par « has the right to » ou «may ».

Par exemple : « … all lots uncleared within the time aforesaid shall be resold by public or private sale … » peut être remplacé par « … all lots uncleared within the time aforesaid may be resold by public or private sale … ».[4]

  1. L’intention : « shall» peut alors être remplacé par « intend to ».

Par exemple : « … Motorplus Ltd shall refer a quantity of [specified type] claims to PM Law Ltd Solicitors … » peut être remplacé par « … Motorplus Ltd intends to refer a quantity of [specified type] claims to PM Law Ltd Solicitors … ».[5]

  1. La recommandation : « shall» peut alors être remplacé par « should » ou « ought to ».

 

En raison des sérieux problèmes d’interprétation engendrés par ces significations multiples et son utilisation souvent incohérente au sein d’un même document, nombreux sont les partisans de son abandon progressif ou immédiat, au profit des synonymes indiqués ci-dessus.[6]

Contrairement à l’Union européenne, qui continue à utiliser « shall » dans sa législation en lui attribuant les significations les plus diverses[7], les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada et l’Australie rédigent leurs nouvelles lois sans avoir recours à ce verbe modal.[8] La notion d’obligation y est systématiquement exprimée par le verbe « must » et les tournures archaïques sont simplifiées (« This Act shall cease to have effect » –> « This Act ceases to have effect » ; « The Authority shall consist of 10 members » –> « The Authority consists of 10 members »). Les législateurs anglo-saxons motivent ce changement de pratique par la tendance au « plain English » et la nécessité de rendre les lois accessibles et compréhensibles par tout citoyen.

Les principaux arguments en faveur d’un maintien de « shall » sont la tradition et la nécessité de préserver le caractère solennel des textes de lois et des documents juridiques. Par ailleurs, certains avocats sont d’avis que leurs clients pourraient être offensés par la formulation par trop autoritaire « the Party must do something » dans un contrat et préfèrent la formulation traditionnelle, qu’ils estiment plus révérencielle.

What ought we to do, then?

Chaque avocat a son propre style et ses priorités : tournures classiques et style conservateur, malgré le risque d’ambiguïtés, ou approche plus moderne favorisant la clarté et la transparence ?

Chez Hieronymus, nous nous adaptons aux souhaits de notre client. De manière générale, pour des contrats ou documents destinés à un public de techniciens du droit ou de la finance (contrat d’achat d’actions, prospectus de fonds, etc.), nous n’utilisons « shall » que dans le strict sens de « must » (obligation). Toute autre utilisation de « shall » n’est autorisée par notre guide stylistique  que si le mandat de traduction qui nous a été confié consiste à compléter une traduction préexistante – dans un tel cas, priorité est donnée à la cohérence avec les passages préexistants.

Pour les traductions destinées à un large public, comme des conditions générales ou des statuts de sociétés suisses, tout recours à « shall » devrait à notre sens être évité.

Au lieu d’utiliser « shall » pour imposer une obligation, nous recommandons alors les expressions suivantes :

IS TO

The court shall reject the request for bankrupty

  • The request for bankruptcy protection is to be rejected by the court

(Le juge rejette la réquisition de faillite / Das Gericht weist das Konkursbegehren ab)

IT IS THE DUTY/OBLIGATION/RESPONSIBILITY OF

Upon request by one of the parties, the court shall establish…

  • It is the duty of the court, upon request by one of the parties, to establish…

(À la requête d’un époux, le juge fixe… / So muss das Gericht auf Begehren eines Ehegatten festlegen)

MUST

Pour éviter une connotation trop autoritaire, « must » peut être utilisé au passif :

The client shall make payment upon delivery of the project

  • Payment must be made by the client upon delivery of the project

 

N’hésitez pas à nous faire part de vos remarques ou questions dans les commentaires ci-dessous ou par e-mail.

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] Selon l’ancienne règle de l’Oxford English Dictionary, la signification de « shall » changeait d’ailleurs selon le sujet. I/we will indiquait une obligation et I/we shall une intention future, alors que You/he/they will indiquait une intention future et You/he/they shall une obligation. Aujourd’hui l’Oxford English Dictionary considère que les mots sont utilisés de manière interchangeable au Royaume Uni, alors qu’il n’est presque plus utilisé dans le langage courant aux États-Unis (“Shall” Or “Will”? | Lexico).

[2] Revisiting Use of “Shall” in Contract Drafting – Adams on Contract Drafting (adamsdrafting.com)

[3] D’après PLAIN, un groupe de travail de l’administration fédérale américaine cherchant à promouvoir l’usage d’un langage clair, l’ouvrage de référence Words and Phrases (Words and Phrases® | Legal Solutions (thomsonreuters.com) contient plus de 76 pages résumant les cas de jurisprudence américaine ayant tranché des cas d’utilisation ambiguë du terme « shall » dans des contrats (Shall and must | plainlanguage.gov).

[4] Cette clause a en effet été interprétée, dans Robinson, Fisher & Harding v Behar [1927] 1 KB 513, comme une simple possibilité pour l’organisateur des enchères de revendre le lot, et non comme une obligation. Cité par Daphne Perry, Why must and will work better than shall in business contract drafting – ClarifyNow

[5] Cette clause a en effet été interprétée dans PM Law Ltd v Motorplus Ltd [2018] EWCA Civ 1730 (26 July 2018) (bailii.org) comme décrivant une simple intention des parties au moment de la conclusion du contrat, sans portée obligatoire.

[6] Par exemple Bryan Garner, Peter Butt et Richard Castle ; voir aussi Drafting Guidance of the Office of the UK Parliamentary Counsel of June 2020, guidancebook.book (publishing.service.gov.uk) ; US Federal Rules of Appellate Procedure of 1 December 2020, Federal Rules of Appellate Procedure | Federal Rules of Appellate Procedure | US Law | LII / Legal Information Institute (cornell.edu) et la note de bas de page 3.

[7] Selon R. Foley, Legislative Language in the EU: The Crucible, « shall » signifie autre chose qu’une obligation dans 45% des cas.

[8] Paul Kendall Cooper, Is there a case for the abolition of ‘shall’ from EU legislation, RGSL Research Papers, 2011, Microsoft Word – Title page_2011 (rgsl.edu.lv)

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