Legal English Shot – Comment dit-on «sous les réserves d’usage» en allemand et en anglais ?

Que signifie «sous les réserves d’usage» en droit suisse ?

La plupart des juridictions accordent un statut particulier à la correspondance entre avocats, de manière à favoriser le règlement amiable des litiges en permettant aux parties de s’exprimer librement lors de la recherche d’une solution extrajudiciaire.

En Suisse, les avocats ont l’interdiction de produire en justice[1] :

  • les documents ou contenus échangés avec un autre avocat dans le cadre de pourparlers transactionnels[2];
  • toute autre communication échangée avec un autre avocat indiquant clairement son caractère confidentiel.

Ce principe de la confidentialité des discussions transactionnelles est connu en Suisse romande sous l’expression «réserves d’usage».

La mention «sous les réserves d’usage» lisiblement apposée sur un document représente ainsi une indication claire de son caractère confidentiel et empêche l’avocat destinataire d’en faire état dans le cadre d’une procédure. Les propositions transactionnelles sont en revanche protégées d’office par la loi, même sans avoir été marquées du sceau de la confidentialité.

Toute pièce introduite comme moyen de preuve dans une procédure malgré cette interdiction constitue une preuve illicite au sens de l’art. 152 al. 2 CPC.

II convient cependant d’attirer l’attention des avocats étrangers sur le fait qu’en Suisse, comme l’a confirmé le Tribunal fédéral[3], seuls les avocats sont soumis à cette interdiction, qui découle de leurs obligations professionnelles et déontologiques. Les parties elles-mêmes ne sont soumises à un devoir de confidentialité que si elles ont conclu à cet effet un accord spécifique, de droit privé. Une partie qui n’est pas ou plus représentée par un avocat et qui n’a pas conclu d’accord de confidentialité peut ainsi produire en justice tout document de la partie adverse portant la mention «sous les réserves d’usage», sans que ce moyen de preuve puisse être considéré illicite et doive être écarté de la procédure.[4]

La signature d’un accord de confidentialité entre les parties avant le début de tous pourparlers transactionnels représente ainsi en Suisse une solution sûre et efficace pour éviter que des échanges transactionnels ne puissent être licitement utilisés dans le cadre d’une procédure.

Comment traduire «sous les réserves d’usage» en allemand

Comme exemples de formules indiquant clairement qu’un courrier est de nature transactionnelle ou confidentielle et ne peut être introduit dans une procédure, le barreau zurichois (Zürcher Anwaltsverband) cite «unpräjudizierlich», «nicht für den Gerichtsgebrauch bestimmt» ou «ohne Anerkennung einer Rechtspflicht»[5]. La Fédération suisse des avocats mentionne aussi «unpräjudiziell» et «ohne jede Rechtspflicht». Pour écarter tout doute, le président du Standesgericht zurichois recommande l’expression complète «vertraulich, unpräjudiziell, nicht für den Gerichtsgebrauch bestimmt».[6]

Comment traduire «sous les réserves d’usage» en anglais

En Grande-Bretagne, la «Without Prejudice Rule» (ou le «Without Prejudice Privilege») interdit l’introduction en justice de déclarations (écrites ou orales) qui ont été faites dans l’intention sérieuse de transiger un litige («genuine settlement negotiations»).[7]

La mention «without prejudice» ou «WP» est vivement recommandée à des fins de clarté, mais elle ne suffit pas à «immuniser» un document contre son utilisation en tant que moyen de preuve; l’échange doit bel et bien avoir eu lieu dans le cadre d’une «genuine dispute» ou «genuine negotiation». Par ailleurs, son apposition n’est pas nécessaire, puisque tout échange considéré former part de pourparlers transactionnels («compromise negotiations») bénéficie d’office de ce privilège.[8]

Les avocats suisses noteront que la jurisprudence anglaise applique le «Without Prejudice Privilege» indépendamment de la question de savoir si la communication émane d’une partie ou de son avocat et si la partie était représentée ou non.

L’expression «on an open basis» s’oppose à «without prejudice» et signifie que les avocats peuvent librement produire les échanges correspondants.

L’expression «without prejudice save as to cost» ou « without prejudice except as to costs» permet à l’avocat auteur du courrier de s’en servir dans son argumentaire relatif aux suites de frais et dépens. L’on notera que le droit de procédure anglais prévoit un type d’offres transactionnelles spécifiques, intitulées «CPR Part 36 offers to settle», qui doivent de par la loi rester confidentielles jusqu’à jugement rendu sur le fond, mais qui seront prises en compte dans la décision de répartition des frais et dépens.[9]

L’expression «without prejudice» ne doit pas être confondue avec l’indication «privileged» (soumis au secret professionnel; «dem Berufsgeheimnis unterliegend») qui a vocation d’empêcher qu’une information détenue par une partie soit communiquée à l’autre partie.

Les termes «off-the-record» ou «confidential» peuvent quant à eux représenter un indice de l’existence d’un accord de confidentialité de droit privé entre les parties, mais la jurisprudence ne leur a pas accordé de statut procédural explicite comparable à celui de la «without prejudice rule»; en l’absence d’accord explicite contraire ou de l’applicabilité d’une règle procédurale spécifique, ils peuvent donc être produits dans le cadre d’une procédure.[10]

L’on mentionnera enfin l’expression «subject to contract», qui n’octroie pas de protection contre une production en justice, mais qui indique qu’une proposition faite dans un courrier ne saurait être interprétée comme une offre contraignante liant son auteur. Des discussions ultérieures et la formalisation de l’accord dans une convention (écrite) sont encore nécessaires.

[1] Ces règles ont été reconnues par la jurisprudence fédérale (cf. p.ex. ATF 140 III 6 consid. 3.1 ; ATF 114 II 473), qui estime que ces interdictions découlent directement du devoir de diligence de l’avocat ancré à l’art. 12 lit. a LLCA (Loi fédérale sur la libre circulation des avocats; RS 935.61), tel que concrétisé notamment par les art. 6 et 26 du Code suisse de déontologie (CSD) édicté par la Fédération suisse des avocats (FSA).

[2] Pour une définition de la correspondance qui constitue des pourparlers transactionnels, cf. Info 2/90, Info 4/02, p. 6 s. et Info 2/05, p. 8 s. du Zürcher Anwaltsverband.

[3] ATF 114 II 473.

[4] Théo Meylan, Revue de l’avocat 11/12/2019, p. 499 ss estime cependant que lorsqu’un avocat répond «sous les réserves d’usage» à son confrère qui lui avait lui-même écrit «sous les réserves d’usage», un accord de confidentialité est de fait conclu par les avocats au nom et pour le compte de leurs clients respectifs.

[5] Info 4/02 du Zürcher Anwaltsverband, p. 7.

[6] Info 2/05 du Zürcher Anwaltsverband, p. 9.

[7] Dans le cadre de la résolution extrajudiciaire des litiges («Alternative Dispute Resolution», «ADR») au niveau international, on rencontre aussi l’expression «Settlement privilege» (principes TransLex). Quant aux États-Unis, ils viennent d’introduire la «Rule 408. Compromise Offers and Negotiations» dans leurs «Federal Rules of Evidence» en décembre 2020 [Federal Rules of Evidence | Federal Rules of Evidence | US Law | LII / Legal Information Institute (cornell.edu)]. Avant cela, la règle de common law qui interdisait aux États-Unis d’introduire en justice des offres transactionnelles n’avait que peu de portée, puisque tout fait affirmé dans le cadre de pourparlers était exclu du champ de protection, à moins que la partie en question n’ait expressément affirmé par avance s’exprimer «without prejudice» ou n’ait précisé qu’il s’agissait d’un fait hypothétique («hypothetical in nature»). La nouvelle règle fédérale inclut à présent tout échange ou comportement adopté dans le cadre de négociations transactionnelles.

[8] Belt v Basildon & Thurrock NHS Trust [2004] EWHC 783 (QB)

[9] PART 36 – OFFERS TO SETTLE – Civil Procedure Rules (justice.gov.uk)

[10] Ashurst, Quickguides, English civil litigation, “Without prejudice”, 18 juin 2021, QuickGuides – Without Prejudice | Ashurst

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